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• Updated
18 January 2021
NPI

Adios Corona, a group of scientists to inform about COVID-19. Meeting with Charlotte Jacquemot.

Charlotte Jacquemot is one of the researchers who, from the very first lockdown, wanted to be useful in the fight against COVID-19. For Charlotte, it will be to actively participate in the work of Adios Corona, a website for all audiences, giving concrete answers and practical advice to questions for the whole family based on available data on the virus. She talks about the origin of Adios Corona.

Interview published on the ENS website.

Charlotte jacquemotIssue de la promotion MAG12 (Biologie, 1996), Charlotte Jacquemot a découvert les sciences cognitives à l'occasion d'un stage de magistère effectué auprès d'Emmanuel Dupoux, normalien également et actuellement membre du Laboratoire de Sciences Cognitives et Psychologuistique (LSCP). Ce stage la convaincra : les sciences cognitives sont faites pour elle. Après un M2 en sciences cognitives, puis une thèse au LSCP, et un post-doc à l'University College of London (ULC), elle est aujourd’hui chercheuse au laboratoire de NeuroPsychologie Interventionnelle (NPI) au sein du Département d'Etudes Cognitives de l'ENS-PSL.

L’origine d’Adios Corona

Début mai 2020, Charlotte s’engage dans le collectif Adios Corona. À l’origine de cette initiative, il y a deux autres jeunes femmes, Virginie Courtier et Claire Wyart, issues elles aussi de la promo de Charlotte. En mars dernier, alors que le confinement met le monde à l’arrêt, elles font le constat qu’il manque un site d’information qui rendrait accessibles des conseils pratiques, et simples à mettre en œuvre, pour lutter contre l’épidémie de COVID. Elles décident de le créer, aidées d'une équipe indépendante de chercheurs bénévoles. Devant la quantité de travail et de demandes, elles en viennent rapidement à devoir élargir le cercle, " nous sommes maintenant 8 chercheurs de différentes disciplines très impliqués dans le contenu et l’édition des textes scientifiques. "

Un hasard ? La moitié des chercheurs du collectif est issue de la même promo de l’ENS : la promo biologie MAG12 (1996). L’expérience de l’interdisciplinarité vécue dès leurs études à l'ENS serait-elle à l’origine de cette façon collégiale de travailler et de faire s’unir les disciplines sur un même objet de recherche ?

Les années du magistère de biologie ont été celles d'une formation d’un excellent niveau qui permettait d’explorer tous les domaines de la biologie dans les meilleures conditions. Nous avons tous eu une base commune solide en biologie et l’offre pluridisciplinaire de l’École a permis à chacun d’évoluer et de se former dans son domaine de prédilection. Aujourd’hui, nous avons tous une spécialité différente. Virginie Courtier est chercheuse en génétique de l’évolution, Claire Wyart en neurosciences, Sigolène Meilhac en biologie du développement, Gwenaël Rabut en biologie moléculaire et je fais de la recherche en sciences cognitives. Le fait d’avoir fait nos études ensemble, d’avoir eu des interactions sociales, d’avoir partagé un quotidien a sûrement facilité la formation rapide d’un collectif efficace et très réactif sans que l’on se rencontre, puisque c’était en plein période de confinement ".

Adios Corona se veut avant tout un site informatif à destination du grand public. Il propose des informations scientifiques à tous les citoyens, pas seulement en français, puisque le site est déjà traduit dans plusieurs langues. " Dès le départ, nous avons souhaité que notre initiative soit internationale, à l’image de la pandémie. Plus de 10 autres chercheurs contribuent au site de manière épisodique sans compter la vingtaine de traducteurs : le site est disponible en 10 langues dont l’anglais, l’italien, l’espagnol mais aussi l’arabe, l’indonésien. " Et Charlotte tient à le souligner : " les contributions à Adios Corona sont bénévoles, c’est en plus de notre travail au sein de nos instituts respectifs. Nous nous attachons à diffuser l’information scientifique de façon la plus transparente et exhaustive possible. C’est notre seule politique ! Notre indépendance nous permet une liberté totale et de ne travailler qu’avec la science en tête. "

Le site a d’ailleurs très vite reçu un excellent accueil du grand public comme de la communauté scientifique. " Pour la version française, il y a environ 4 000 visiteurs par jour, avec des pics quand nous faisons une intervention dans les médias ! Suite au passage d’Adios Corona sur France Inter en décembre dernier (dans Carnets de Campagne), 80 000 pages ont été vues en une journée ! Pendant cette seconde vague, nous avons eu 200 000 visiteurs et plus de 660 000 pages visitées. Sur la version française du fil twitter, nous avons plus de 1 500 abonnés. "  La ligne éditoriale contribue aussi à la notoriété de l'initiative et les chercheurs du collectif sont régulièrement contactés par des journalistes, des institutions gouvernementales, scientifiques ou universitaires.

"S’il y a un enseignement à tirer, c’est que pour faire respecter une consigne, les injonctions ne sont pas efficaces et ce qui marche le mieux, c’est l’explication, l’éducation des citoyens." 

L’expertise scientifique au service du grand public

Dès l’origine de l’initiative, les chercheurs ont tenu à mettre leur expertise scientifique au service d'explications accessibles. Ils y parviennent en proposant des articles scientifiques construits sous forme de questions/réponses ou de conseils pratiques. Tous sont convaincus que  " le meilleur moyen de lutter contre la défiance des citoyens envers les consignes des autorités sanitaires et politiques, c’est d’expliquer aux gens ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas. "

La ligne éditoriale s'articule autour de trois dimensions : informer, expliquer et conseiller.

Informer en diffusant des informations sur l’épidémie sous forme de questions/réponses construites uniquement à partir des données scientifiques et médicales. Par exemple, dès le début de la pandémie, se fondant sur les données scientifiques, Adios Corona a œuvré pour généraliser le port du masque à grande échelle alors même que le discours ambiant était différent.
Voir la question/réponse : Est-il utile de porter collectivement des masques pour lutter contre la COVID-19 ?

Expliquer en apportant des éclairages simples aux points clefs de cette épidémie. " S’il y a un enseignement à tirer, c’est que pour faire respecter une consigne, les injonctions ne sont pas efficaces. Ce qui marche le mieux, c’est l’explication, l’éducation des citoyens. Par exemple, l’importance de l’aération, de la ventilation était mal connue en mars 2020. On connait aujourd’hui le rôle clé des aérosols dans la transmission du coronavirus et nous expliquons que pour diminuer la concentration du coronavirus dans l’environnement, il est essentiel de se retrouver dans un lieu aéré, (extérieur ou dans une pièce bien ventilée avec les fenêtres ouvertes) ".  Des consignes à rappeler mais surtout à expliquer. Les chercheurs observent que le comportement de la population a évolué entre confinement Acte 1 et Acte 2: " Autant le premier confinement a été plutôt bien suivi autant le deuxième l'a beaucoup moins été. On observe une lassitude qui se généralise dans la population. Il faut donc trouver un équilibre entre des consignes les plus efficaces possibles pour lutter contre la pandémie et celles qui peuvent être suivies sur un temps long. "
Voir la question/réponse Le coronavirus SARS-CoV-2 se transmet-il par aérosols ?

Conseiller en posant le postulat que si chacun peut s’approprier les connaissances actuelles, il pourra adopter plus facilement un comportement responsable. " Après avoir informé et expliqué, nous donnons des conseils, des recommandations qui seront bien mieux suivis que si nous n’avions pas expliqué les données scientifiques qui les justifient. "
Voir le conseil : Prendre le bus/métro/train

La science en tête ou le besoin de transparence

Derrière l’initiative d’Adios Corona, il y a le souci de partager les savoirs scientifiques avec une majorité de citoyens. Cela peut prendre de multiples formes y compris " la collaboration avec des journaux qui publieraient quotidiennement des questions/réponses du site pour toucher toute la partie de la population qui n’utilise pas internet. " Il y a aussi le souci d'aller plus loin qu'une communication institutionnelle parfois imprécise.  L'équipe pointe régulièrement les faiblesses des communications des systèmes de santé. " Dernièrement, une consigne a été donné d’un nombre maximum de 6 convives à table pour les fêtes de fin d’année, sans comptabiliser les enfants. Mais est-ce que ce sont 6 personnes qui provenaient de foyers différents ou 3 couples ? Car ce n’est pas du tout la même chose : dans le deuxième cas, il y a moins de risques que dans le premier. Est-ce que ce sont des personnes qui sont en télétravail, ne prennent pas les transports ou au contraire, des commerçants qui prennent les transports en commun ? Le risque diffère grandement entre ces deux situations. Enfin les enfants, non seulement, peuvent être contaminés par la COVID-19 mais ils peuvent être aussi contaminants. Pourquoi ne comptent-ils pas dans ce calcul ? Quelle est la raison scientifique ? Voilà un autre exemple typique d’une communication imprécise scientifiquement. De même, aujourd’hui les musées et les cinémas sont fermés alors que l’on peut s’entasser dans les rames de métro et faire ses courses dans des centres commerciaux. Scientifiquement cela n’a pas de sens. Il n’y a pas plus de risques d’être infecté par la COVID-19 dans un musée que sur la ligne 13 du métro… ".

Ces questions et le raisonnement logique qui en découle, c’est ce que Charlotte Jacquemot appelle " avoir la science en tête ". La liberté et l’indépendance scientifique chères aux chercheurs prennent ici tous leurs sens. L’information scientifique est au centre des préoccupations de l'équipe dont le travail consiste en grande partie à effectuer des recherches bibliographiques, de la compilation d’articles, un décryptage des publications scientifiques, du traitement des données… Mais en fait  tout cela c'est " le travail habituel du chercheur ! "

"Le manque de confiance des individus dans les institutions est un excellent terreau pour les thèses complotistes. "

Consensus scientifique,  désinformation et malinformation  

Depuis mai 2020 et la fin du premier confinement, beaucoup de choses ont évolué, notamment en terme de recherche scientifique et de communication. Après quelques mois de recherche intense sur le coronavirus SARS-CoV-2 et les découvertes qui ont été faites, on observe un certain consensus scientifique quant à la voie de propagation du virus, aux moyens de s’en protéger ou encore à la durée de contagiosité. A l'inverse, sur d'autres questions, il n'existe pas encore de consensus. "  On le voit sur les méthodes mises en œuvre par les différents pays pour contrer l’épidémie parce que ces méthodes dépendent grandement de la culture de chaque pays, de choix politiques et socio-économiques propres à chaque pays. Certains pays ont fait des recommandations, d’autres ont légiféré. "

Par ailleurs, le contexte actuel de pandémie est propice aux rumeurs et aux fausses informations. Elle s’accompagne d’une infodémie de fake news qui inondent tous les modes de communication. Les théories du complot et les fausses informations au sujet de la COVID-19 se répandent dans les médias, sur les réseaux sociaux et par le bouche-à-oreille. Nombreuses et persistantes, elles en désorientent même certains. Comment Adios Corona s’est-il adapté à cette évolution et à la défiance d’une partie de la population envers la science ? " La désinformation a de multiples sources. D’une part des pseudo-experts très présents dans les médias qui connaissent la littérature scientifique de manière vague ou lacunaire. D’autre part des institutions qui répandent des informations fausses scientifiquement mais justifiées par des contraintes politiques ou économiques. Enfin des groupes d’individus actifs qui répandent des thèses complotistes. La perte de confiance des individus dans les institutions, excellent terreau pour les thèses complotistes, fait le reste. Notre réponse est à la fois scientifique et citoyenne».

"L’humain est un être ultra social et la privation d’interactions sociales, la privation de contacts tactiles peuvent avoir des conséquences psychologiques désastreuses."  

Aller plus loin pour retrouver une vie normale

Dans cette volonté de continuer à informer et à expliquer, le collectif de chercheurs a mis en place un certain nombre d’initiatives parallèles, allant au-delà du site web. Ainsi une réflexion est en cours sur le dépistage avec tests salivaires : " Nous savons qu’une des clefs pour lutter contre l’épidémie, c’est de détecter rapidement les contaminations pour freiner efficacement la propagation. Il faut donc faire du dépistage massif même auprès des personnes qui n’ont pas de symptômes (plus de 50% des contaminations sont faites par des individus qui n’ont pas ou pas encore de symptômes). Or les tests nasopharyngés ne sont pas adaptés pour faire des tests à grande échelle. Les tests salivaires (variante du test naso-pharyngé avec la salive) offriraient une alternative."

Au delà de la propagation du virus l'équipe s'intéresse aussi aux aspects sociaux liés à cette épidémie, notamment l’impact psychologique et psychiatrique dû à l’incertitude face à la maladie mais aussi la solitude induite par les mesures de protection sanitaire. Pour la chercheuse en sciences cognitives, cet aspect-là est loin d’être anecdotique. " Il faut faire très attention à l’isolement social. L’Humain est un être ultra-social et la privation d’interactions, la privation de contacts tactiles peuvent avoir des conséquences psychologiques désastreuses. Nous avons suffisamment d’informations maintenant pour apprendre à vivre en se protégeant. Le masque est un outil formidable qui permet de vivre en sécurité et devrait être considéré comme une chance et non pas comme une contrainte. Il y a de nombreuses maladies où il n’y a même pas de moyens faciles à mettre en œuvre pour éviter la contamination ou la propagation. Maintenant que l’on sait se protéger, il faut penser à retrouver une vie plus ou moins normale quand les conditions de protections sont réunies. "

Le collectif se penche également sur l’information émise auprès des jeunes et s’attache à la rectifier quand c'est nécessaire. " Au début de l’épidémie, il a été dit à tort que les jeunes et les enfants n’étaient pas des vecteurs de la COVID-19. Maintenant on sait que c’est faux. Ils peuvent être infectés et infecter les autres, le risque de contaminer leurs parents ou grand parents est élevé ". Les inclure dans le respect des consignes, mais aussi aller chercher leur adhésion, est essentiel. " Adolescents, on a plus envie d’être dans la rébellion que dans le respect de consignes ! Il faut donc trouver les moyens pour que les ados adhèrent au protocole. Ce qu’on voudrait, c’est travailler en partenariat avec des collèges, des lycées pour soutenir des projets où les jeunes vont pouvoir s’approprier les concepts clefs de l’épidémie, par exemple via des actions comme des défis TikTok ou Instagram. "

Enfin, à l’heure où la question de nouveaux variants et de la vaccination sont au cœur des débats, le collectif de chercheurs a posté de nouvelles questions/réponses pour présenter les différents types de variants et leur impact sur l’efficacité des vaccins disponibles.

Interrogée sur les principaux enseignements de cette pandémie, Charlotte Jacquemot  répond : " l’Humain est un incorrigible amnésique :) Avons-nous vraiment utilisé tout ce que nous avions appris des épidémies précédentes ? Je ne crois pas ! Et aussi, la liberté des chercheurs est un point essentiel pour l’indépendance de la recherche scientifique. "

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